mercredi 24 février 2016

D'où je viens

De ce pays, peu de souvenirs. Si ce n'est qu'il est en guerre, que les rues sont armées et que les burnous blancs frôlent les murs.
 Elle, par devoir de mémoire, me raconte souvent que le bleu de la mer y est plus intense que nulle part ailleurs et que le sable du désert sent l'aloès et le fennec.
Elle me raconte les bals populaires, les épiceries gorgées d'épices, le soleil qui brunit les tâches, le linge qui flotte sur les toits terrasses, les basse-cours caquetantes et les amitiés mixtes, l'accent buriné et imagé, les farces des enfants dans la rue, les pieds qui écrasent le raisin.
Lui me parle de ses grand-parents, exilés de Majorque, me raconte les poissons frits qu'on achetait dans des cornets de journal et les doigts ruisselant d'huile, les pique-nique sur les plages et les parties de pêche avec les amis.
Lui me dit de lire Camus pour connaître ses rivages magiques et ses ruines somptueuses. Il a du mal à en parler, lui, comme si sa langue était brûlée par le cumin d'un méchoui.
J'ai une idée sensorielle de ces racines qui ont du mal à être les miennes. Et finalement ça me convient bien: juste en fermant les yeux, je peux imaginer leur vie là-bas.
La mienne est ailleurs.

Hélène

Rêver

J'ai rêvé de ma vie
J'ai rêvé du soleil
J'ai rêvé de ma vie au soleil
Et du soleil de ma vie
J'ai rêvé de l'abandon
Et aussi de la lune
Au fond du cabanon
En regardant les dunes
J'ai rêvé de musique
J'ai rêvé de voyages
D'un chapeau magique
qui fumait dans mes bagages
J'ai rêvé de l'espoir
Et de l'infiniment petit
J'ai rêvé tard le soir
Quand les enfants sont partis
J'ai rêvé de l'espace
J'ai rêvé des étoiles
Sans ma carapace
Et vêtue de voiles
Je rêve une fois encore
Au milieu de la misère
Je rêve une fois encore
Qu'il n'y aura plus de guerres
Je rêve d'une présence rare
Comme un buisson de jasmin
Et de son tintamarre
Au fond du jardin
Je rêverai encore et toujours
D'être tendrement aimée
Je rêverai de l'amour
Jusqu'à en crever.

Hélène

JE, TU, ILS

Je me lève je me lave je lèche mon café je me dépêche je fonce dehors je fonce dehors j'enfonce la porte je m'enfonce dans la voiture je cherche la clef j'ai oublié la clef je fonce dehors je suis déjà fatiguée j'éternue j'ai oublié l'écharpe j'en ai marre…

Tu es ma libellule,
tu es ma princesse Massaï,
tu es ma belle en devenir,
tu es ma frêle à retenir,
tu es ma têtue,
tu es ma fille.

Ils sont tous là
ils voient le chemin
ils s'imaginent que c'est facile
ils frôlent le vent
ils sirotent l'air du temps
ils ont l'air méchants
ils chahutent la mer
ils chuchotent leurs secrets.
Vont-ils se taire?

Hélène

mardi 23 février 2016

Poèmes reconstruits

On part, demain, à l'aube. Maintenant.
Bois ton verre, vide-le sec,
Dans l'instant lève-toi et va de l'avant.
Elle attend le type, le gars, le mec,
Dans sa tour, son antre, sa barque elle attend.
Quand viendra le moment,
Quand s'arrêtera le temps,
Quand tu ne pourras faire autrement que suivre le courant,
La houle se lèvera, l'orage grondera,
Avec foi tu te jetteras, pour tomber dans ses bras.

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On disait qu'il était bête, Jeannot
Boiteux, crétin, idiot, bref un sot
Dans le village sis au bord de l'eau
Elle aussi tourmentait le minot
Dans la ferme abritant ses travaux
Quand elle se moqua une fois de trop
Quand Jeannot en eut marre des salauds
Quand au cœur se planta son couteau
La belle trépassa sans dire un mot
Avec juste la surprise de partir si tôt.

Conte en K et Z

Kakatoès et Kiwi quittèrent leur cage
Au zoo,
Kalachnikov au coude et képis sur crâne,
Les zozos…
Accablés d'accras et de croquettes à koala,
L'oiseau
Caquetait à qui mieux mieux en karaoké du Koweit.
Le maso
Criait : « Kamikazons le kolkhoze kényan ! »
Zozotant,
Kiwi acquiesçait à ce klaxon clinquant,
Hésitant
À croire Kakatoès capable de casser quoi que ce soit.
Zézayant,
Son krill au ketchup coincé dans son bec à clous,
Bien cosy
À kidnapper du kilomètre pour quelques kopecks.
« Hérésie ! »
Clama Kakatoès à coups de kippa kantienne.
« Poésie ! »
Contra Kiwi d'un karaté kafkaïen.
« Asile ! »
Couina le korrigan khmer quittant son coin caché.
« Zyzomis
Attaque mon kiosque, qu'il crie, au krach ! »
Les zorros,
Kimonos couverts de kirsch du kibboutz,
Azotèrent
Le coquin de kérosène, kraft et kaolin
Et l'explosèrent
Comme un kouglof kitsch un khâgneux enkysté.

Histoires en deux ligne.

En haut de la montagne, là où les fous hurlent à la lune, où les sages vont mourir.

Là où dorment les chiens, les enfants aussi trouvaient refuge pour la nuit.

Au milieu de la forêt il attend. Il a le temps. Quoiqu'il advienne, son heure viendra.

Sur un ring il s'est mis debout, il a fait face. Sur un ring il tombe, vaincu.

Dans le bus il dort, la tête contre la vitre, et elle le regarde dormir.

Les gens ne vont plus au cimetière. Ce sont désormais les morts qui viennent frapper à la porte de chez eux.

Clé n°4

J'aurais dû le savoir. J'aurais dû me méfier. La porte était bizarre, un peu… décalée, comme pas vraiment à sa place. Je suis tombé dessus par hasard – enfin, je me demande maintenant si c'était vraiment par hasard – dans un coin paumé du deuxième étage, aile ouest. La clé était par terre, juste devant. Elle aussi était bizarre, un je ne sais quoi d'étrange. J'ai eu le temps de la regarder sous toutes les coutures depuis, mais elle n'a pas perdu ce côté… venu d'ailleurs.

Je l'ai prise et j'ai ouvert la porte. Ce n'était qu'un placard, un débarras. L'ampoule qui pendait du plafond fonctionnait encore. Il n'y avait rien à part de la poussière, et de vieux cartons. Et puis j'ai vu l'autre porte. Au fond du placard, derrière un mur. Cachée. Elle était fermée. La serrure avait l'air identique à celle de la première, alors j'ai essayé la clé. La serrure a tourné avec un clic, la porte s'est ouverte. Il faisait noir. J'ai avancé un peu, pour voir.

La porte s'est refermée. Toute seule.

Impossible de la rouvrir.

J'ai tout essayé. J'ai cogné dessus, sur la serrure, sur le chambranle, je me suis explosé les jointures à vouloir la démolir. J'ai même tenté de creuser dans le mur autour. Rien à faire.

Je me suis laissé tomber. J'ai regardé la clé, j'ai voulu la jeter. Quelque chose m'a retenu. Je ne sais pas trop quoi. Juste le sentiment qu'il fallait que je la garde.

Ça fait fait un moment que je suis coincé dans le noir, avec pour seule lumière le rai qui passe sous la porte. Personne ne va venir, je le sais, personne ne vient jamais dans cette ruine. Je n'ai pas le choix, il va falloir que je continue dans le couloir. J'ai beau retourner le problème dans tous les sens, c'est la seule issue.

Mais je n'ai pas envie. Je ne veux pas aller dans le couloir.

Parce que j'ai peur.

Le Misanthrope

Je ne vous aime pas. Ou guère. Disons que vous m'importunez. Au minimum. Pour faire court, je suis mieux loin de vous qu'à vos côtés. Bien mieux. Incroyablement mieux. Je ne supporte que difficilement vos présences quand – hélas ! – je dois vous côtoyer. Non, soyons honnête : je ne supporte pas vos présences. Absolument pas. Vous me hérissez. Vous me portez sur les nerfs – et je déteste m'énerver. Pourquoi ? Ai-je vraiment besoin de raisons ? Allez, si, quand même. Vidons notre sac. Vous êtes stupides, tous autant que vous êtes. Une stupidité crasse, sans fond – pire ! – imbue d'elle-même, qui se repaît de son propre reflet. Rien que ça suffirait pour que vous méritiez mon mépris. Et s'il n'y avait que ça ! Vous êtes bruyants, en sus d'être idiots. Vous êtes odieux, crétins, à la vue courte et au rire gras. Non contents de vous complaire dans votre bêtise, vous cherchez par tous les moyens à y noyer les autres. Je retire ce que j'ai dit : je vous déteste, en fait. Je vous hais. Vous me débectez, vous me faites vomir. Chaque minute passée en votre sein, chaque témoignage de votre débilité m'est une torture affreuse. Pourquoi croyez-vous que je préfère cent fois rester prostré chez moi, seul, plutôt que de risquer ma santé mentale dans votre pandémonium d'abrutis ? Je vous abhorre, j'exècre votre existence. Tout, plutôt qu'avoir à vous subir. Tout, pour ne plus avoir à le faire. J'espère votre fin, votre anéantissement. Je le souhaite de toute mon âme, tant et si bien que je me rêve parfois en Faucheur, en Dieu de la Mort, arpentant les rues une hache à la main, pour tous vous abattre, les uns après les autres, à la chaîne. Quelle joie ce serait de pouvoir vous faire disparaître, tous, de ma main. Quel soulagement aussi. C'est impossible, je le sais, alors je rêve plus grand, j'appelle de mes vœux la catastrophe nucléaire, la pandémie, la troisième guerre mondiale, l'astéroïde apocalyptique qui viendra vous rayer de la carte, même l'invasion extraterrestre, ou encore le Jugement Dernier, tout, n'importe quoi, n'importe quoi pour qu'enfin, enfin, je sois débarrassé, délivré, libéré de vous tous.