mercredi 28 mars 2018

Bibliothèque des refusés


Je ne suis pas un ours de Max Goran
L'auteur, de haute taille, portait barbe noire, moustache et cheveux longs. Ses yeux ronds et vifs détaillaient la bibliothèque.
Il sortit une main velue de sa poche et posa délicatement un manuscrit sur le bureau. Il sourit et ce fut comme un rayon de soleil dans une forêt sombre.
C'est un peu autobiographique dit-il mais ça reste un roman.


Attrape-moi par la queue de Roger Dushmoll.
Un gros bonhomme adipeux se présenta au bureau. La couverture de son livre était tachée de gras et de ronds marrons qu'on devinait être la trace de tasses de café. (Peut-être?)
Roger Dushmoll disait que c'était un livre pour enfants. Il y racontait tous les viols de curés sur leurs enfants de coeur, avec moultes détails.


Il est passé par là de Bobby Duparc
C'est mon cinquantième roman, faîtes-moi confiance, celui-là sera un best-seller.
L'homme était corpulent, la quarantaine fringante lui allait bien.
Il respirait l'assurance et la satisfaction.
"C'est l'histoire d'un homme qui est passé par là et il a bien fait.
Il faut lire le livre jusqu'à la fin pour savoir pourquoi."
Sans une hésitation, il avait placé le livre entre les mains de l'éditeur.
Il repartit aussitôt, il était juste passé

Le pouvoir des Oaks de Peggy Sullivan
L'auteur de cet ouvrage me fit peur. Elle se présentait pour la troisième fois en me précisant qu'elle ne changerait pas une virgule à son ouvrage. Pour la troisième fois, j'apercevais une jeune femme en tailleur en bas de l'escalier et quelques secondes plus tard j'étais en face d'une indienne vêtue de peau. Le parfum chanel devenait odeur de musque. Cette transformation m'effrayait, alors les lecteurs!

Si tu souris je m'envole de Gustave Allaoui
Grand, maigre, costume trois pièces très défraichi, la cinquantaine, des rides profondes déjà qui accentuaient la longueur de son nez. Et c'est vrai qu'il ne donnait pas envie de lui sourire, pourtant j'ai le sourire facile. Mais là, il me glaçait

Retour au pays des lutins de Barnabé Kim
Il était venu seul. Sa tête dépassait à peine la hauteur de mon bureau. Je lui demandai son age mais il me déclara que j'étais impoli. Une grande mèche blonde barrait son rgard bleu. Mais oui, il avait écrit ce livre tout seul, il pouvait le jurer. Il connaissait bien le pays des lutins, il en venait, mais aucun éditeur ne l'avait cru.

Amour de fées de Jessica B.
Rien d'écrit, que des dessins, elle ne parlait pas non plus. Elle étala ses oeuvres à la craie et me regarda d'un air songeur. Elle s'était présentée avec deux ailes dans le dos et devant mon silence, elle s'échappa dans un bruissement d'air. La fenêtre était ouverte.

Trois petites fleurs dans mon jardin de Mauve Roquette
Elle entra vivement et le vent léger qui soufflait dehors entra avec elle dans le bureau.
Sa robe fleurie aux couleurs éclatantes illumina la pièce. Elle paraissait jeune, donnait l'impression qu'elle serait toujours jeune.
"Certains prétendent que le bonheur ennuie, je veux prouver le contraire."
Elle déposa sur le bureau un manuscrit aux feuilles multicolores qui s’entrouvrit comme une corolle.


Visiter Londres en trotinette d'Albert Dupont-Durand
Le guide était bien détaillé, une grande connaissance de Londres: les tunnels, les impasses, les escalators, les monuments interdits aux trotinettes, même portées à l'épaule. Mais il était écrit en français, Mr Dupont-Durant ne parlait pas anglais, ça avait beaucoup nui à la promotion de son livre.

Meurtres au rez-de- chaussée de Landru de Hautecour
L'homme, grand et mince, n'avait pas prononcé une seule parole.
Il devait avoir la cinquantaine, paraissait épuisé.
Le livre qu'il tenait dans ses longues mains gantées de noir semblait lui brûler les doigts, il le tournait compulsivement en tous sens.
Enfin il parla." Meurtres est au pluriel parce qu'il y a beaucoup de morts dans ce livre. Des dizaines. J'aime tuer. Un sourire spectral étira ses lèvres.En imagination, bien sûr."
Il paraît que c'est trop, aucun éditeur n'en veut mais des dizaines de meurtres pour le prix d'un qu'est-ce que vous en pensez?

L'eau dans le monde de Jean Lenoir
"Le temps passe et nous sommes de vrais prédateurs, bientôt la planète sera sèche, plus une goutte, je vous dis, vous m'entendez!" s'écria-t-il.
"Il faut me publier en grand format, il faut alerter"
Lui n'avait sans doute plus d'eau au robinet, il sentait la sueur, ses cheveux se collaient sur son front et ses doigts devaient être gras, vu l'état des feuillets qu'il venait de déposer sur mon bureau.

Comment éviter la gastro-entérite par le Dr Dumachinverrou.
Il me présenta sa carte professionnelle, il était vraiment médecin, et m'affirma que les laboratoires pharmaceutiques avaient tout mis en oeuvre pour éviter la parution de son livre.Il parait que les traitements médicamenteux de la gastro-entérite représentent une fortune pour leur industrie.

Bernadette Soubirou, sa vie son oeuvre de soeur Marie-Madeleine.
C'était une petite bonne soeur toute ronde et tout sourire, âgée d'une soixante d'années. Elle déclara qu'elle avait mis 20 ans à rassembler tous les éléments de la vie de cette sainte mais qu'elle eut plus de mal à raconter son oeuvre.

Rapport entre la physique quantique et le pâté d'Arnold Pissededans.
Le personnage ressemblait étrangement au Professeur Tournesol. Il était persuadé que son livre était un monument de la science, LE livre qu'il fallait avoir lu avant de manger une tartine de pâté et ne comprenait pas qu'aucun éditeur n'ait vu le best seller qui sommeillait en lui.

Si les W.C. Pouvait parler d'Eddy Marlène
L'auteur était un beau garçon d'une trentaine d'années vêtu d'un jean délavé et de baskets jaunes fluo et c'est vrai qu'il avait "une bouille" de comique.
"C'est un livre sérieux" m'a-t-il dit... l'être humain passe tellement de temps dans cet endroit dans sa vie, qu'il y a beaucoup de choses à raconter.
Cet endroit on ne le choisit pas on n'a tout simplement pas le choix, ou alors c'est dehors en pleine nature!!
Oui si les W.C. pouvait parler de tout ce qu'il voit, entend....
"C'est un sujet intéressant" m'a-t-il dit.
Dans les W.C. il y a des personnes qui ont écrit des chansons, fait des vocalises, qui ont chanté et chantent encore, qui lisent et bien sur je passe sur le reste...

La vie secrète d'une mouche de Valentina de Saint Hubert.
La dame, âgée d'une quarantaine d'années était habillée avec beaucoup de classe et portait une capeline de feutre et des talons hauts. Elle expliqua que son livre était une vraie daube: qui peut s'intéresser à la vie "secrète" d'une mouche, franchement? Mais qu'il avait le mérite d'avoir été écrit et donc publié.

Odette se fait des couettes de Pétronille Abusco
Une vieille dame voutée sur sa cane, qui portait un chignon haut perché et un peu de travers, disait qu'elle écrivait des livres pour enfants indisciplinés et perdus pour la société, qu'il fallait remettre dans le droit chemin

50 recettes de Babas au rhum de Ginette Baramaman
J'ai feuilleté le livre, il y avait bien cinquante recettes différentes, à quelques détails près.
Elle m'expliqua qu'elle les avait toutes préparées plusieurs fois. La couleur de son visage semblait indiquer qu'elle les avait toutes goûtées, sans lésiner sur le rhum.

L'histoire en assiettes de Marie Paul Scmitt
Elle est arrivée cachée derrière une pile d'assiettes. Elle venait tous les ans, alors la pile montait, bientôt je ne verrai plus que ses cheveux qu'elle portait coupés en hérisson. Elle faisait toutes les brocantes et récrivait l'histoire.
"Je vous les apporte pour faire la démonstration de mon propos, regardez bien les décors sur la porcelaine, les batailles, les révolutions, tout y est. Plus besoin de cours, mon livre et ses photos raconte toute l'humanité"
Elle tournait les pages de son ouvrage et présentait ses objets.
Encore quelques années et la pile va vaciller.
Pas de démonstration, pas d'édition.

mardi 27 mars 2018

Je n'y étais pas mais je me souviens


Une petite maison à la campagne, une famille simple et heureuse, pas de confort mais un beau potager. Vous meniez une vie tranquille, le travail bien sûr mais aussi les voisins, vous vous rendiez service, les mères échangeaient des conseils de tricot, les pères conversaient sur les haricots. Et une nuit, la sirène de l’usine vous a réveillés. L’usine, ta fierté, ta survie, tu regardais les tuiles de toute la région. « Elles sortent de chez nous celles -là, tu peux avoir confiance ». Les fours, les poids, tu supportais, tu montrais tes muscles sous le maillot de corps. Tu travaillais dur, tu nourrissais ta famille, tu redressais la tête après l’exil. Et là, au milieu de la nuit, les flammes, l’odeur. Tu pars en pyjama sur les lieux, elle veut te retenir mais tu pars en pantoufles, les voisins aussi, vous remplissez des seaux, voulez aider, c’est votre usine, vos vies, vos familles. Vous arrivez tout près de l’incendie, on vous rejette, c’est pas votre affaire on vous dit, on attend les pompiers, rentrez chez vous. Mais vous ne pouvez pas, vous êtes figés par l’angoisse, vous tremblez malgré la chaleur. Quand les hommes du feu arrivent, les flammes ont tout dévoré, le toit s’est effondré. Vous restez toute la nuit à regarder hébétés, vous pleurez. Je n’y étais pas mais je vois les larmes de colère, les larmes de désespoir. Le chomage, la rage, le départ. Tout laisser, les copains, le jardin. Tu pars chercher du travail ailleurs, tu courbes le dos sous le poids du destin. Tu la laissée se charger des valises et tu es parti pour la ville. Je crois que c’est là que tu as perdu ton sourire, dans la banlieue de la chimie qui devait nous accueillir et où j’ai grandi.

lundi 26 mars 2018

Je n'étais pas là, mais je m'en souviens

Mon aïeul s'appelle Paul. Paul Cadet.
Il vit une enfance misérable sur une île méditerranéenne et quand sa famille fuit la famine, il est plutôt heureux.
Cet exil les amène bien loin de la Méditerranée. Erreur de GPS sans doute, ils débarquent après de longs mois sur une autre île: La Réunion.
Là, Paul s'épanouit dans les forêts tropicales et apprend à lire grâce à la patronne de son père. Il est curieux, avide de savoir et s'intéresse à tout.
Le jeune homme devient instituteur sur les rives de l'océan. Puis maire d'un minuscule village qui vit de pêche et de chasse, qu'on appellera Saint Paul pour honorer la mémoire de cet homme bon qui a sauvé beaucoup de jeunes de l'illettrisme.
Il fonde une famille avec une habitante du hameau voisin, une mulâtre qui lui donnera de beaux enfants créoles. Une des filles, très belle, est remarquée à Paris où son père l'envoie pour y devenir une femme du monde. Elle s'appelle Joséphine, fréquente la cour et se fait aimer de Monsieur de Bonaparte.
Une autre de ses filles, Honorine, épouse en grandes noces un commandant de la marine qui l'abandonnera avec ses enfants dans l'île qu'a fui ses grand-parents. Retour aux sources. Elle s'en échappera à nouveau et arrivera en Algérie, dans les rues de Maison-carrée, où ma mère est née deux ou trois générations plus tard, avec une peau couleur de miel, des cheveux crépus et un nez épaté.

Dans ma rue

Dans ma rue
il y a des cases branlantes
d'autres colorées et pimpantes
des culottes qui sèchent au vent
et des jardins en pente douce

Dans ma rue
il y a le soleil qui brule le bitume
les nuages qui effilochent le ciel
les manguiers qui tremblent
et les guirlandes de maracujas

Dans ma rue
il y a des bananes à ramasser
des palmiers qui déchirent le ciel
les odeurs d'accras qui cuisent
et les mille-pattes qui se faufilent dans l'herbe

Dans ma rue
il y a les bougainvilliers flamboyants
l'odeur de l'ylang-ylang
les voitures qui roulent trop vite
et des chiens errant

Dans ma rue
il y a cette maison rose que j'aimerai habiter
les cochons qui se vautrent dans dans la boue
la mamie qui se protège des mauvais esprits
et un parc plein d'arbres centenaires

Dans ma rue
il y a l'odeur de la canne qu'on coupe
la distillerie qui sent la mélasse
le bus qui klaxonne à cinq heures du matin
et les voisins qui boivent l'apéro

Dans ma rue
il y a des vieux devant leur case
qui jouent aux dominos
avec un chapeau de paille
et des bouches édentés.

Abécédaire des amoureux

A comme André
Des regards soutenus à travers la table familiale de la communion, trop large pour que leurs pieds se frôlent. Pedro tombe amoureux de ces regards.

B comme Baptiste
Ils se rencontrent aux beaux arts où ils sont étudiants tous les deux. Première fois pour l'un et l'autre, mais Pedro n'est pas accro. Il veut juste faire l'expérience.

C comme Caroline
Elle est galleriste, il est artiste peintre. Après le vernissage de sa première expo, ils finissent autour d'un verre et sous la couette. Ils eurent beaucoup d'enfants et se marièrent.

D comme Denis
Un vieux copain revu à la soirée des anciens du lycée Prévert. Aventure d'un soir, dans les toilettes un peu crades du lycée pour s'assurer qu'il aime sa femme.

E comme Elise
Une copine de sa fille. Elle a quinze ans, belle à croquer et lui fait du charme. Il ne résiste pas. Il aime surtout ses petits seins bien fermes. Sa fille les surprend: c'est le drame: divorce, garde alternée, pension alimentaire, etc, etc...

F comme François
Rencontré par hasard sur internet, pour être sûr que finalement, il est bien homo.
Pédro, la cinquantaine branchée et fringante est amoureux de François, l'adolescent qui vit encore chez Maman. C'est compliqué et frustrant.

Mots valises

LARMOIR
Mot très ancien aujourd'hui remplacé par lavoir.
Les femmes y lavaient leur linge en pleurant sur leur sort de femmes.
Parfois il y avait plus de larmes que d'eau dans le bassin.

TOUTRISTE
Un touriste est une personne qui voyage beaucoup mais seul.
Personne avec qui partager la vie qui devient morose.

TETARGIE
La tétargie désigne une étape de la croissance de la grenouille. On pourrait la comparer à l'adolescence chez l'humain: entre la larve et la poussée hormonale qui fournit l'adrénaline.

TERRORISETTE
C'est un vêtement de nuit en gros pilou-pilou imprimé de monstres sanguinaires barbus et portant des Kalashnikov. 3si tu mets ta terrorisette, pas de câlin sous la couette!"

SUPERSTUTIEUX
Genre de super-héros très bricoleur, qui se sort de situations compliquées grâce à son ingéniosité mais qui ne supporte pas de passer sous une échelle ou de croiser un chat noir.

TALENTUEUR
Personne capable de tuer 20 personnes en un seul coup de fusil.

mardi 20 mars 2018

longer le fleuve

On ne traverse pas un fleuve sans l’avoir longtemps longé. Un fleuve, c’est une rencontre, une rupture dans l’avancée, une obligation de faire route à deux dans le paysage. On s’approche, on épouse sa forme, on copine avec lui dans l’herbe des campagnes et les berges de villes. Il trace le chemin, on court avec le courant, on se pose dans les méandres, on rêve de se laisser emporter dans les tourbillons, on passe sous les ponts et soudain, après une pile, on prend idée de passer dessus, d’aller sur l’autre rive, on change de point de vue et parfois on remonte en sens inverse : recherche de la source ou peur de se noyer avec lui dans l’immensité de l’océan.


Huguette

le chat qui se promène dans vos rêves

Le chat qui se promenait dans les rêves

Ce chat, couché là sur son coussin, comme tout chat qui se respecte, dort. Pourtant, il émane de lui une sensation étrange, il semble posséder un secret, vos secrets. Non pas qu’il partage votre vie mais parcequ’il habite vos nuits. Le soir, l’air de rien, il attend, appuyé sur vos jambes, il devient câlin, il ronronne et guette le moment où vous allez sombrer dans les bras de Morphée. C’est le moment où il se réveille, par la puissance de ses yeux d’or, il pénètre en vous et se balade dans votre tête, dans vos rêves les plus fous, il marche sur les nuages de votre pensée, adoucit vos cauchemars, aiguise vos désirs, il peut se transformer en diable ou prendre le visage d’un ange, c’est lui qui est aux commandes. Il pétrit les recoins de votre inconscient et dirige vos mouvements. Il rit avec vous des aventures incongrues, fait le tri et fait passer dans l’oubli les évènements terrifiants qui effraient votre esprit. Il garde avec lui les beaux rêves qu’il vous soufflera à l’oreille avant la sonnerie du réveil.

Le matin, l’air de rien, il réclamera ses croquettes, il aura l’air d’un chat ordinaire, pas tout à fait. Plongez à votre tour dans son regard  et laissez- vous emporter dans ses rêves à lui où il n’y a pas que des souris.